Partager sur :

La Ligue arabe, spectatrice de l’implosion régionale

Le 31e sommet de la Ligue arabe s’est achevé sans grandes surprises et dans l’indifférence la plus complète. La déclaration officielle du sommet, elle, consiste en une énumération de formules rhétoriques appelant à la paix et à la stabilité, qui révèle à quel point cette organisation est spectatrice et non partie prenante des évolutions régionales. L'analyse de Sami Erchoff, journaliste franco-marocain installé au Liban.

(Sami Erchoff) - Une fois n’est pas coutume, le sommet de la Ligue arabe a accouché d’une déclaration fourre-tout, qui, à vouloir satisfaire les vingt-deux États membres de l’institution, a été vidée de sa substance. " Soutien absolu au peuple palestinien ", " attachement au plan de paix arabe ", " rejet des ingérences étrangères ": les éléments de langage finissent par sonner creux, tant ils ont été usés jusqu’à la moelle par une organisation friande de résolutions pompeuses, qui n’a jamais réussi à jouer un rôle majeur dans la gestion des conflits régionaux.

Après trois ans d’absence, le sommet de la Ligue arabe apparaît comme un non-évènement pour les peuples de la région. Le journal égyptien al-Ahram, au début du mois d’octobre, titrait même laconiquement: " Peu d’attentes pour le sommet de la Ligue arabe ". Du côté du journal palestinien Al-Quds, le même scepticisme domine, les Palestiniens n’ayant " plus besoin des résolutions verbales souvent entendues, mais d’actions concrètes sur le terrain ".

Une véritable indifférence qui tient du fait que l’organisation interétatique, censée porter les espoirs panarabes d’intégration régionale et de lutte contre l’impérialisme, n’a rien accompli cette dernière décennie, hormis des discours flamboyants défendant la cause palestinienne et des résolutions aussi vagues que dépourvues de réel impact sur le terrain. La Ligue est aujourd’hui le symbole des divisions et des rivalités régionales, suivant le proverbe attribué à Ibn Khaldoun : " Les Arabes se sont entendus pour ne pas s’entendre ".

Un agenda vidé de sa substance

Il est incontestable que l’actualité arabe ne manque pas de conflits armés, de tensions géopolitiques et de crises économiques à résoudre à un niveau supra-étatique.

La guerre en Ukraine a affecté de plein fouet de nombreux pays, vulnérables aux fluctuations des cours mondiaux des céréales, et plongé leurs populations dans l’insécurité alimentaire. En parallèle, les pays producteurs d’hydrocarbures croulent sous les pétrodollars. La Ligue arabe est aujourd’hui appelée à jouer un rôle de plateforme de coordination de l’aide régionale, qui se fait actuellement sur des bases bilatérales. Son impuissance est synonyme d’un creusement des inégalités, déjà abyssales, entre les monarchies du Golfe et les autres pays arabes.

Pourtant, la seule considération économique présente dans la " déclaration d’Alger " consiste en un soutien à la " politique équilibrée de l’Opep+ pour garantir la stabilité des marchés mondiaux ". Une solidarité bienvenue avec l’Arabie Saoudite, qui fait face à la colère de Washington pour avoir agi en faveur de la baisse des quotas pétroliers, mais qui semble dérisoire face à l’étendue des défis socio-économiques auxquels font face les pays arabes.

Face aux ingérences turques et iraniennes, de nombreux représentants arabes ont appelé à une condamnation ferme et nominale de ces deux pays. Au contraire, le document annoncé aujourd’hui ne mentionne qu’un rejet des " ingérences étrangères sous toutes leurs formes dans les affaires arabes ": cette formule floue a été adoptée afin d’atteindre le nécessaire consensus, alors que plusieurs pays de la région possèdent des intérêts communs avec l’Iran. De même, la proximité du Qatar avec la Turquie a constitué un point d’achoppement pour condamner les ingérences manifestes de ce pays au nord de la Syrie et en Libye.

Déjà, lors de la réunion ministérielle de septembre dernier, le communiqué de la Ligue arabe condamnant les ingérences turques en Irak, en Syrie et en Libye avait rencontré les réserves de plusieurs pays, dont l’Algérie, Djibouti, et le Qatar.

Même constat sur les conflits armés que connaît la région, les divisions des pays arabes ne permettant pas à la Ligue de proférer autre chose que les sempiternels espoirs de réconciliation et de paix. Le sommet apporte ainsi simplement son appui " aux efforts visant à régler la crise en Libye par un règlement interlibyen garantissant son unité et la souveraineté ": la rivalité entre l’Algérie et l’Égypte, qui refuse toute légitimité au gouvernement d’unité nationale, a empêché toute prise de décision sur ce dossier hautement épineux. Lors de la réunion ministérielle de septembre dernier, le ministre égyptien avait même quitté la séance, celle-ci ayant été présidée par le représentant du Gouvernement d’unité nationale libyen.

Alors que l’Algérie, proche du régime baathiste, comptait faire de ce sommet une opportunité pour remettre sur la table la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, l’opposition de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de l’Égypte a, une fois de plus, relayé cette question à un sommet ultérieur. Ce n’est pas pour autant que les dirigeants arabes se sont fermement engagés dans le processus de transition politique: la déclaration souligne, mollement, la nécessité d’un " rôle arabe collectif et capital dans les efforts visant à mettre fin à la guerre civile ".

La cause palestinienne, simple formule protocolaire 

Érigée au rang de cause suprême de la Ligue arabe, la défense de la souveraineté palestinienne est aujourd’hui reléguée à d’hypocrites formules protocolaires, uniquement destinée à sauvegarder les apparences.

Cette impuissance se trouve résumée par l’énoncé choisi dans la déclaration: un " soutien absolu au droit des Palestiniens à avoir un État indépendant et souverain avec Jérusalem-Est pour capitale ", l’affirmation de la " centralité de la cause palestinienne ", et " l’attachement des pays arabes au " plan de paix arabe " de 2002 ". De même, le sommet a proclamé son soutien aux efforts de l’Autorité palestinienne pour devenir membre à part entière de l’ONU, et a appelé à poursuivre Israël devant la justice " pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis contre le peuple palestinien ".

Pour rappel, le plan des pays arabe de 2002 propose un retrait total des forces israéliennes des territoires arabes occupés (le Golan syrien, la Cisjordanie, la Bande de Gaza, et Jérusalem Est) et la fondation d’un État palestinien indépendant et souverain, contre la promesse d’une paix durable avec Israël et l’établissement de relations diplomatiques régulières avec les pays arabes.

Là où le bât blesse, c’est que plusieurs États arabes ont déjà normalisé leurs relations avec l’État hébreu. C’est le cas du Maroc, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et du Soudan, ainsi que d’autres États de la région qui entretiennent des relations stratégiques et commerciales officieuses avec Israël.

Prisonnière de la règle de l’unanimité, la Ligue arabe a choisi de ne pas mentionner ces atteintes au plan de paix, ce qui revient à les entériner. Une véritable posture de l’autruche, l’organisation évitant de trancher entre deux alternatives: condamner ces rapprochements arabo-israéliens, ou élaborer un nouveau plan de paix arabe, adapté aux réalités géopolitiques actuelles.

Incapable de protéger la souveraineté de ses États membres, la Ligue arabe continue à représenter un illusoire " consensus arabe " et assiste en spectateur à l’implosion des sociétés arabes, déchirées par les appétits des puissances étrangères qui les entourent.

Français
Partager sur :