
La semaine dernière, le gouvernement pakistanais a attribué le plus haut grade militaire du pays — celui de Maréchal de camp — à l’actuel chef d’état-major de l’armée, le général Asim Munir. Ce n’est que la deuxième fois dans l’histoire du Pakistan qu’un tel titre est attribué, la première ayant été à Ayub Khan dans les années 1960. Ce geste, malgré tout son apparat, en dit long sur les angoisses internes du Pakistan et ses échecs stratégiques, bien plus que sur une quelconque prouesse militaire. Plutôt que de refléter un succès sur le champ de bataille ou une vision stratégique exceptionnelle, la promotion de Munir apparaît comme une tentative désespérée de l’establishment militaire pour dissimuler des revers opérationnels, consolider le pouvoir au milieu des troubles intérieurs et s’enfermer davantage dans une politique de longue date d’hostilité envers l’Inde voisine.
Un Maréchal forgé par la Crise, pas la Victoire
Le titre de maréchal est traditionnellement réservé aux généraux ayant conduit leur nation à des victoires historiques ou ayant démontré un génie stratégique hors pair. L’élévation de Munir intervient, elle, à un moment où la crédibilité de l’armée pakistanaise est fortement mise à l’épreuve, notamment après l’Opération Sindoor lancée récemment par l’Inde. Loin d’être une célébration de quelque triomphe que ce soit, sa promotion est conçue pour remonter un moral en berne au sein des troupes et à détourner l’attention du public, déjà en plein désenchantement.
Le Pakistan est aujourd’hui confronté à des crises sur plusieurs fronts, non seulement en raison de l’embarras extérieur, mais aussi de troubles internes profonds. L’économie est sous forte pression, les insurrections continuent de mijoter au Balochistan et à Khyber Pakhtunkhwa, et l’autorité autrefois incontestée de l’armée est désormais remise en question par le public. L’incarcération de l’ancien Premier ministre Imran Khan et les troubles qui ont suivi n’ont fait qu’aggraver cette instabilité. Dans ce contexte, la promotion de Munir n’est pas une récompense au mérite, mais une manœuvre visant à renforcer son autorité personnelle et à restaurer la mainmise militaire sur le récit national pakistanais.
Des mots à la Violence : L’Attentat de Pahalgam
Le mandat de Munir en tant que chef de l’armée pakistanaise n’a pas été marqué par des innovations militaires, mais par une campagne incessante de rhétorique et de provocation anti-indiennes. Bien avant sa promotion récente, Munir critiquait à plusieurs reprises l’accord de cessez-le-feu de 2021 avec l’Inde, estimant que la paix à la frontière privait le Pakistan d’un levier stratégique et que la violence « contrôlée » était une nécessité tactique. Cette vision du monde — où la confrontation est perçue comme une monnaie d’échange — a façonné la posture du Pakistan sous sa direction.
Ses discours, imprégnés de la controversée « théorie des deux nations », vont bien au-delà de la rhétorique politique typique. Munir s’est servi de ses références religieuses pour légitimer un agenda radical et excluant, dissimulant souvent ses ambitions politiques dans le langage de la foi. Tout en invoquant le discours religieux pour rallier des partisans, sa rhétorique est dépourvue de véritable substance spirituelle et reflète plutôt un effort calculé pour approfondir les divisions.
Derrière cette façade de religiosité se cache un langage d’intolérance. Loin de prôner la compassion ou la coexistence, il insiste sur un clivage infranchissable entre les musulmans et les adeptes d’autres religions, en particulier les hindous. Il a même déclaré que la devise de l’armée était « imaan, taqwa, jihad fi Sabilillah ».
Pourtant, ce même chef qui invoque ces slogans est à la tête d’opérations militaires impliquant la torture et l’enlèvement de musulmans au Balochistan — dont beaucoup de femmes et d’enfants. Il a fait preuve d’une cruauté alarmante à l’égard des réfugiés musulmans afghans fuyant la pauvreté et la violence, répondant par des mesures de répression intensifiées et des déportations massives largement condamnées par les organisations humanitaires. .
L’invocation sélective de textes religieux par Munir répond à un objectif politique : consolider le pouvoir et étouffer la dissidence. Une telle rhétorique, qui rappelle celle des dirigeants militaires fondamentalistes comme Zia-ul-Haq, sert non seulement à exploiter les tensions communautaires mais aussi à fournir un couvert idéologique aux proxies terroristes.
Ce climat d’incitation a préparé le terrain pour le massacre de Pahalgam, l’exemple le plus effrayant de la stratégie terroriste transfrontalière du Pakistan. L’attaque, perpétrée par le Front de résistance (TRF), un front rebaptisé du groupe terroriste Lashkar-e-Taïba, sanctionné par les Nations Unies, a été planifiée et dirigée avec l’appui des services de sécurité pakistanais, selon les autorités et les analystes indiens. Le ciblage délibéré de touristes hindous, l’utilisation de terroristes pakistanais et locaux et la revendication ouverte de responsabilité du TRF indiquent tous un effort calculé pour enflammer les tensions communautaires et provoquer une crise régionale. Pour Munir, créer une crise avec l’Inde sert de point de ralliement commode pour unir une nation fracturée et détourner l’attention des échecs intérieurs croissants du Pakistan.
Au-delà des Médailles : Une Réalité Fragile
Derrière les décorations et les titres, le commandement militaire pakistanais repose sur des fondations bien plus fragiles que ne le laisse entendre le récit officiel. L’opération Sindoor de l’Inde, lancée à la suite de l’attaque terroriste du Pahalgam, s’est révélée être une campagne rapide et précise qui a détruit de multiples camps terroristes et frappé profondément en territoire pakistanais.. Les tentatives de riposte du Pakistan, à l’aide de drones et de missiles, furent efficacement interceptées ou neutralisées par les défenses indiennes. L’affrontement s’est achevé non par une victoire pakistanaise, mais par l’obligation pour Islamabad de solliciter un cessez-le-feu selon les conditions imposées par l’Inde.
Cet épisode marque unt ournant significatif dans la dynamique régionale. Pendant des décennies, le Pakistan a utilisé son arsenal nucléaire comme bouclier de l’impunité, en misant sur la menace d’une escalade pour dissuader toute réponse indienne décisive au terrorisme transfrontalier. L’opération Sindoor a toutefois mis en lumière une nouvelle détermination à New Delhi : l’Inde n’est plus intimidée par le chantage nucléaire, et est confiante de répondre par une action militaire calibrée qui expose les vulnérabilités des défenses conventionnelles du Pakistan. Cette résistance a envoyé un message clair : l’Inde ne permettra pas que l’ombre nucléaire soit utilisée comme couverture pour le terrorisme.
Malgré ces revers, l’armée pakistanaise — sous la direction de Munir — a lancé une campagne de propagande, organisant des parades de victoire et saturant les médias de récits triomphalistes. L’élévation de Munir au rang de Maréchal représente le point culminant de cette campagne : un geste symbolique visant à projeter la force, alors même que les faits sur le terrain racontent une histoire d’échec stratégique et de perte de crédibilité.
Pouvoir, Propagande et Précédent
L’autopromotion de Munir fait des parallèles gênants avec le premier maréchal du Pakistan, Ayub Khan, qui s’était autoproclamé Maréchal après la désastreuse guerre de 1965 contre l’Inde. Tout comme Ayub, l’ascension de Munir semble viser non pas à célébrer un quelconque succès stratégique, mais à remodeler le récit entourant les échecs militaires. Cependant, il y a une différence notable : alors qu’Ayub s’est retiré du commandement militaire direct, Munir conserve le contrôle à la fois symbolique et opérationnel, ce qui renforce encore l’emprise des militaires sur le paysage politique pakistanais.
La communauté internationale doit comprendre que la promotion de Munir n’est pas une affaire cloîtrée. C’est encore un autre rappel que l’armée pakistanaise reste attachée à une doctrine d’hostilité et d’aventurisme, plutôt qu’à tout engagement constructif. La rhétorique religieuse de Munir, sa volonté de provoquer des conflits et sa complicité dans le terrorisme transfrontalier représentent une tendance inquiétante.
La réponse mesurée mais résolue de l’Inde aux récentes provocations a révélé les vulnérabilités des militaires pakistanais et a signalé que les attaques contre les civils indiens ne resteront pas sans réponse. Plutôt que d’encourager la réforme ou l’introspection à Rawalpindi, l’élévation de Munir suggère que les généraux pakistanais sont déterminés à s’accrocher au vieux jeu du déni et de la déviation.
L’accession du général Asim Munir au rang de maréchal n’est pas une célébration de l’excellence militaire, mais le symptôme d’un système politique et militaire incapable de faire face à ses propres échecs. Tant que la provocation est récompensée et que l’on échappe à la responsabilité, le cycle de la provocation et des représailles se poursuivra. La stabilité dans la région exige de lier le pouvoir à la responsabilité, et non pas de permettre à une force qui fabrique des crises d’en monopoliser l’autorité. Le bilan inquiétant de l’armée pakistanaise est éloquent et le monde ne peut plus se permettre de détourner le regard.
Kamal Madishetty est professeur assistant à l’université Rishihood et chercheur invité à la Fondation de l'Inde à New Delhi.