
Le phénomène du commerce des nourrissons
À l’heure où l’influence des réseaux sociaux connaît une croissance rapide au cours des dernières années, un phénomène préoccupant mérite d’être abordé avec lucidité et responsabilité : l’exploitation des nourrissons par certains créateurs de contenu sur la plateforme YouTube. Ces derniers diffusent des scènes intimes et privées de la vie des enfants, y compris les premiers instants de leur naissance, dans le but d’attirer un grand nombre de vues, lesquelles se traduisent par des revenus financiers importants. Cette pratique a été qualifiée dans les milieux médiatiques de « trafic numérique de nourrissons », où l’enfant est réduit à un simple outil numérique servant à capter l’audience, au mépris flagrant de ses droits psychologiques et humains.
Ce phénomène connaît une recrudescence inquiétante au Maroc, notamment parmi certaines femmes qui documentent les moindres détails de la vie quotidienne de leurs enfants, parfois même de nouveaux-nés, dans le but de constituer une large base de followers garantissant des gains élevés sur les plateformes numériques. Certaines vont jusqu’à filmer l’accouchement, le premier bain, la première célébration de l’Aïd, voire des rituels traditionnels tels que l’application du henné sur les mains et les pieds des nourrissons… Autant d’agissements qui soulèvent de sérieuses interrogations d’ordre juridique et éthique quant aux limites de la liberté de publication et à la responsabilité des parents.
Le rôle du père entre absence et responsabilité : crainte de la pension alimentaire ou convoitise des gains ?
Dans le cadre de l’analyse du phénomène de la traite numérique des nourrissons, un autre aspect crucial mérite l’attention : le rôle du père, notamment dans les situations où la mère est divorcée ou détient la garde exclusive. Il est en effet constaté, dans de nombreux cas, l’absence d’intervention active du père pour empêcher cette forme d’exploitation, alors même que la nature préjudiciable et illégale des contenus diffusés portant atteinte à l’intimité et à la dignité de l’enfant est manifeste.
Ce silence soulève des interrogations légitimes : pourquoi le père, bien qu’il dispose d’un statut juridique en tant que « tuteur » ou « père biologique », ne dépose-t-il pas plainte contre de tels actes ? Est-ce la crainte d’être contraint au versement d’une pension alimentaire ? Ou s’agit-il d’une forme de complaisance délibérée, motivée par la perspective de profits issus du contenu numérique, faisant ainsi de certains pères des complices tacites de cette exploitation, par leur silence ou même par leur participation discrète à la création du contenu ?
Une telle complicité, qu’elle soit directe ou indirecte, constitue une atteinte grave au principe de responsabilité parentale, laquelle ne prend pas fin avec la séparation ou le divorce, mais perdure pour garantir la protection de l’enfant contre toute forme de violation, qu’elle soit physique, morale ou symbolique.
Ainsi, l’absence du père, ou son silence complice, devient un facteur aggravant de l’exploitation des enfants sur les plateformes sociales, et appelle à une réaction collective tant sur le plan juridique que sociétal afin d’activer les mécanismes de contrôle et d’élargir le champ de la responsabilité, pour qu’il englobe tous ceux qui participent, directement ou indirectement, à de telles pratiques condamnables.
Plus préoccupant encore, ces pratiques tendent à se systématiser, présentant le nourrisson comme un contenu central, voire un produit numérique à part entière, exploité de manière continue dès ses premiers instants de vie. Un comportement qui porte gravement atteinte à la dignité humaine et constitue une violation manifeste des instruments juridiques internationaux, au premier rang desquels figure la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Maroc.
Dans ce contexte, des membres de la communauté marocaine résidant à l’étranger ont lancé un appel urgent aux autorités judiciaires compétentes, réclamant l’ouverture immédiate d’enquêtes sur ces actes. Une plainte officielle a été déposée auprès du parquet de la ville de Fès, via la plateforme nationale de signalement des crimes électroniques (www.e-blagh.ma) ainsi que par le biais de la page officielle du ministère public. Cette plainte a été étayée par plus de vingt photos authentifiées et des vidéos montrant des cas d’exploitation numérique d’enfants, dont l’un âgé d’à peine un mois.
Le ministère public a réagi de manière positive à cette plainte et a ordonné aux services de la police judiciaire d’ouvrir une enquête sous sa supervision. Cette évolution intervient à la suite d’initiatives entreprises par des citoyens marocains, dans le cadre d’une utilisation responsable de la plateforme “E-blagh”, notamment par les membres de la diaspora.
L’intervention de la société civile dans ce contexte constitue un exemple à suivre et confirme que la protection de l’enfance est une responsabilité collective, nécessitant une vigilance juridique et sociale constante, ainsi qu’une collaboration étroite entre les citoyens et les institutions. Dans cette optique, l’importance du signalement s’impose comme un devoir national, et le rôle de la plateforme “E-blagh”, lancée par la Direction Générale de la Sûreté Nationale, s’affirme comme un outil numérique efficace, permettant aux citoyens de signaler facilement et en toute confidentialité les infractions numériques.
L’enfance n’est pas une marchandise, et l’innocence ne saurait être un moyen de générer des profits.
La protection des enfants contre l’exploitation numérique est une responsabilité juridique et morale qui incombe à tous individus, institutions, législateurs et exécutants.
La communauté marocaine résidant à l’étranger exprime ses plus vifs remerciements et sa profonde reconnaissance au parquet de la ville de Fès, en saluant sa réaction rapide et son engagement sérieux face à leurs appels. Elle tient à souligner son appréciation pour le rôle pionnier que joue l’institution judiciaire dans la protection des droits de l’enfant et dans la lutte ferme contre toutes les formes d’exploitation numérique, témoignant ainsi d’un profond attachement aux principes de justice et de dignité humaine.