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Partenariat ou dépendance ? Quand les Émirats redessinent le paysage économique marocain

Maglor - Dans un Maroc en quête d’investissements structurants et de partenariats internationaux, les Émirats arabes unis (EAU) se sont imposés au fil des années comme un acteur économique incontournable. Des stations balnéaires aux centrales solaires, en passant par l’immobilier de luxe et les projets de smart cities, les capitaux émiratis sont désormais omniprésents. Si Rabat met en avant une coopération Sud-Sud « exemplaire », certains observateurs s’interrogent sur la nature réelle de cette relation : simple partenariat stratégique ou nouvelle forme de dépendance économique ?

Des projets pharaoniques aux allures de vitrine

Difficile de passer à côté de l’empreinte émiratie dans les grands projets qui redessinent le paysage marocain. À Taghazout, près d’Agadir, la station balnéaire de luxe financée en partie par des fonds du Golfe vise à faire de la région un pôle touristique international. À Ouarzazate, le complexe solaire NOOR — l’un des plus grands au monde — bénéficie également d’un soutien financier venu d’Abou Dhabi. À Casablanca, Rabat ou Marrakech, les tours résidentielles, hôtels cinq étoiles et centres commerciaux signés Emaar ou DAMAC traduisent une volonté de marquer durablement le territoire.

Le ton est donné : opulence, modernité, image. Ces projets sont autant de vitrines diplomatiques que de placements financiers, pensés pour positionner les EAU comme une puissance d’influence dans le Royaume.

Une relation déséquilibrée ?

Mais derrière ces réussites apparentes, des voix critiques s’élèvent. Si les projets apportent des capitaux frais et dynamisent certains secteurs, leurs retombées locales restent parfois limitées.

« Les Émirats investissent avec une logique de rentabilité maximale, ce qui est légitime. Mais trop souvent, les projets sont gérés de manière fermée, avec peu d’intégration des entreprises marocaines », confie un économiste basé à Casablanca.

Les marchés publics manquent de transparence, les conditions fiscales sont souvent très avantageuses pour les investisseurs étrangers, et les retombées pour les PME locales ou l’emploi durable sont discutables. Résultat : un sentiment croissant d’asymétrie dans cette relation censée être partenariale.

Une offensive stratégique dans un contexte géopolitique tendu

Cette présence économique ne saurait être isolée du contexte géopolitique régional. Les Émirats ne cachent pas leur ambition de devenir une puissance d’influence en Afrique du Nord et dans la région sahélo-saharienne. Leur diplomatie économique s’accompagne de prises de position sur des dossiers sensibles : Sahara, normalisation avec Israël, lutte contre les Frères musulmans…

En retour, le Maroc, tout en affirmant sa souveraineté et sa stratégie de diversification des partenaires (UE, Chine, États-Unis, Russie), ménage ses relations avec les monarchies du Golfe, traditionnellement alliées. Mais cet équilibre est fragile, d’autant plus que certains pays du Golfe, à l’image du Qatar ou du Koweït, adoptent des postures plus discrètes, laissant les Émirats occuper le devant de la scène.

Une société civile en alerte

Dans les médias indépendants, chez certains parlementaires ou dans les cercles académiques, la question revient : le Maroc maîtrise-t-il encore sa politique d’investissement ? Ou se laisse-t-il entraîner dans une logique où la souveraineté économique est peu à peu grignotée au profit d’intérêts étrangers ?

La montée des prix du foncier dans certaines zones, la marginalisation des compétences locales dans les appels d’offres, ou encore l’opacité des conventions signées avec des fonds souverains étrangers alimentent un début de méfiance. La crainte : voir émerger une forme de « colonisation économique soft », sans contre-pouvoir.

Conclusion : vigilance et exigence

Le partenariat maroco-émirati est un levier de développement, mais il ne saurait se faire au détriment des intérêts nationaux. Le Maroc gagnerait à renforcer les mécanismes de transparence, à réévaluer les conditions fiscales et contractuelles de certains investissements, et à intégrer davantage les acteurs locaux dans les grands projets structurants.

Sans cela, le pays court le risque de glisser d’un modèle de coopération équilibrée vers une dépendance silencieuse. Or, dans un contexte mondial de recomposition des puissances, la souveraineté économique devient un enjeu stratégique aussi important que les frontières elles-mêmes.

À suivre : Dans notre prochain dossier, nous nous pencherons sur le rôle croissant de la Chine dans les infrastructures marocaines, et les défis que pose cette nouvelle rivalité des puissances au sein du Royaume.

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