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Maroc : les nouvelles priorités de Mohammed VI

À l’occasion de la rentrée parlementaire, le souverain chérifien s’est placé en première ligne pour maintenir la locomotive économique sans décrocher le wagon du social. Le Point Afrique a fait la synthèse de la politique royale.

(Le Point) - Au cœur de Rabat, des milliers de citoyens sont venus saluer le cortège royal en ce deuxième vendredi du mois d'octobre, traditionnellement synonyme du début d'une nouvelle année législative.

Retransmise en direct par la télévision nationale, l'arrivée du cortège en voiture décapotable, à l'intérieur de laquelle le monarque se tient debout accompagné du prince héritier, est un événement très attendu par les foules rassemblées sur place, qui elles-mêmes restent très attachées à ces traditions ancestrales.

Ce discours d'ouverture de la session parlementaire d'automne est un rendez-vous où les grandes questions nationales sont abordées. Le sujet le plus prioritaire auquel le souverain a consacré une grande partie de son message adressé aux élus de la nation est celui de l'eau.

La problématique de l'eau en haut des priorités

En effet, le Maroc passe à l'offensive en matière de gestion de ses ressources hydriques. Un Programme national prioritaire de l'eau 2022-2027 a été mis en place à cet effet. C'est un signal d'alarme que lance le chef de l'État marocain quant à l'état des ressources hydriques. Il s'agit pour lui d'« une situation de stress hydrique structurel ». Et de poursuivre : « La seule construction d'équipements hydrauliques, si indispensable et importante soit-elle, ne suffit pas à régler tous les problèmes. »

Face à cette question désormais universelle, le monarque a appelé dans un premier temps à « un traitement diligent de la problématique de l'eau, dans toutes ses dimensions, et notamment à une rupture avec toutes les formes de gaspillage ou d'exploitation anarchique et irresponsable de cette ressource vitale ». Dans un second temps, il sera question de « renforcer la politique volontariste de l'eau et de rattraper le retard dans ce domaine ».

Pour y parvenir, le roi du Maroc a tracé les contours de la feuille de route du royaume en la matière qui se déclinent en trois orientations : la première porte sur le recours aux innovations et technologies nouvelles dans le domaine de l'économie de l'eau ; la deuxième consiste à accorder une attention particulière à une exploitation rationnelle des eaux souterraines et à la préservation des nappes phréatiques ; et la troisième consiste à garder à l'esprit que la question de l'eau n'est pas l'affaire exclusive d'une politique sectorielle isolée, mais qu'elle constitue une préoccupation commune à de nombreux secteurs.

Le Royaume, classé parmi les pays au stress hydrique élevé, se trouve désormais face à une situation où la demande en eau est aujourd'hui supérieure à la quantité disponible. En effet, le rapport du World Resources Institute (WRI) a classé le Maroc à la 23e place sur un total de 164 pays. Une situation qui a été toutefois relevée, depuis deux décennies, par « les économistes et les prospectivistes qui ont attiré l'attention sur le fait que le Maroc est un pays semi-aride avec cycles de pluviométrie de 400-600 millimètres en moyenne », explique le politologue marocain Mustapha Sehimi, qui considère que le sujet n'a pas été pris en compte comme une urgence nationale, malgré les réformes entreprises par les gouvernements successifs. « Cette problématique ne rentre pas dans le périmètre naturel des préoccupations des différents gouvernements, ce qui a donné lieu à la situation actuelle », commente notre interlocuteur.

Des solutions expérimentées face à l'insécurité alimentaire

La sécurité alimentaire en toile de fond du discours. Pour l'économiste marocain Omar Kettani, « le problème de l'eau touche directement le secteur agricole et, par extension, impacte la filière céréalière qui est d'une grande importance pour un pays qui consomme beaucoup de pain », une situation qui se retentit naturellement sur les importations. « Nous l'avons observé avec la récente vague de sécheresse durant laquelle le Maroc s'est retrouvé obligé d'importer les deux tiers de ses besoins en blé. » À noter que le secteur agricole représente à lui seul 18 % du PIB et demeure le deuxième pourvoyeur d'emplois au Maroc.

Au sommet de l'État, ce ne sont pas les moyens qui manquent pour remédier au mal : près d'un milliard d'euros, soit 10 milliards de dirhams, ont été alloués à un programme exceptionnel, annoncé en février dernier. Rappelons que le pays a enregistré l'an dernier un déficit pluviométrique de 64 % en comparaison avec une saison normale, avec une moyenne nationale située actuellement à 75 mm.

Secteur privé, la nouvelle force motrice de l'économie marocaine

Autre priorité de Mohammed VI : l'investissement. Le second temps fort du discours de Mohammed VI concerne l'enjeu du développement de l'investissement étranger avec la mise en œuvre du pacte national. Ainsi, un nouveau cap a été fixé par le monarque : mobiliser 550 milliards de dirhams, soit 50 milliards d'euros d'investissements, et créer 500 000 emplois à horizon 2026. Rien de surprenant donc qu'au Maroc, au plus haut sommet de l'État, les questions relatives à la création d'emploi occupent une place d'importance vu leur dimension stratégique à tous points de vue.

Il a précisé par ailleurs que « l'objectif stratégique recherché est que le secteur privé occupe la place qui lui échoit dans le domaine de l'investissement, celle d'une force motrice effective de l'économie nationale ». Ainsi, un appel a été lancé au secteur bancaire et financier pour « soutenir et financer la nouvelle génération d'entrepreneurs et d'investisseurs, notamment les jeunes ainsi que les petites et moyennes entreprises ».

Une ambition qui traduit, pour le professeur Omar Kettani, « la nécessité de créer un écosystème de l'investissement et une atmosphère générale, qui encourage l'investissement à travers un certain nombre de mesures, notamment la simplification des modalités pour accorder les autorisations aux projets d'investissement et le développement de la numérisation ».

Pour donner une impulsion tangible à l'attractivité du Maroc pour les investissements privés, le pays table aujourd'hui sur la nouvelle Charte nationale de l'investissement. Et le roi de pointer dans son discours un nombre d'insuffisances auxquelles le Maroc devra remédier. « Malgré les résultats obtenus, Il reste beaucoup à accomplir pour libérer les énergies, tirer le meilleur parti des potentialités nationales, encourager l'initiative privée, drainer davantage d'investissements étrangers », a-t-il dit, en appelant les Centres régionaux d'investissement (CRI) à superviser l'intégralité du processus d'investissement et à en accroître l'efficience

Des investissements massifs annoncés

Néanmoins, les réformes structurelles engagées par le pays ces dernières années ont permis d'« améliorer l'image et la performance du Maroc dans ce domaine ». Un constat conforté par les résultats de l'analyse établie par Reputation Lab pour le compte de l'Institut Royal des Études Stratégiques (IRES). Le Maroc, selon ce rapport, occupe la 32e place dans le classement par réputation des 60 pays ayant le PIB le plus élevé, avec un score très proche de la moyenne des plus grandes économies (48,6 points pour une moyenne de 49,4 points). Cette réputation du royaume globalement positive relative à sa stabilité institutionnelle et à l'ouverture sur l'économie mondiale notamment avec la signature de nombreux accords commerciaux (UE, US, Égypte, Turquie, Zlecaf) lui confère une place de choix au niveau de l'échiquier international. La relance de l'investissement demeure cependant tributaire de « la déconcentration administrative, la simplification et la digitalisation des procédures, la facilitation de l'accès au foncier et aux énergies vertes, l'appui financier aux porteurs de projets », affirme le roi du Maroc.

L'économiste Ahmed Azirar, directeur des recherches à l'Institut marocain d'intelligence stratégique (Imis), y voit un appel royal à l'ensemble du gotha concerné par la chaîne d'investissement, en particulier les institutions dédiées. Et d'ajouter : « Les 12 régions du pays ont toutes des structures intégrées pour recevoir, inciter, suivre et encourager l'investissement. » Et de rappeler : « Au cœur de ces régions, il y a les walis à travers leurs armes actives et agissant notamment pour les CRI qui concentrent plein de pouvoirs en matière de promotion de l'investissement privé, en plus des collectivités locales avec leurs conseils qui sont des éléments clés dans la facilitation du processus décisionnel. »

Alors que les textes d'application de la charte d'investissement ne seront finalisés que dans les prochains mois, l'enjeu désormais est de savoir quelle va être la nature de l'investissement prévu. Quels sont les secteurs qui vont être priorisés ? La question est posée. Il convient ainsi de souligner la capacité du Maroc à pouvoir capter les opportunités plus tôt que les autres, de même que la capacité à être résilient lorsqu'il y a des crises.

Yasmine Tijani

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