
Elles s’appellent Manal, Hanane Lafif ou Khtek. Elles ont le verbe qui pique, et leurs mots sont une arme au service de revendications légitimes. Bien loin des stéréotypes made in USA, des tenues légères et des corps décomplexés, les icônes du rap marocain participent aussi au combat féministe.
Par essence, le rap est un milieu machiste et le Maroc n’y échappe pas. Quelques rappeuses ont pourtant décidé de défier cette misogynie ambiante pour s’imposer dans le milieu viril du hip-hop. La revue Femmes du Maroc les avait mises en valeur, il y a deux ans. Le Monde Afrique a repris le même thème dans son édition du 4 août.
Manal qui rend hommage au monde rural
Manal Benchlikha, dite Manal BK ou tout simplement Manal fait partie de ces super women. À l’origine Manal ne rappe pas, elle chante, exit la guitare et son petit air innocent. Depuis un an, l’artiste marrakchie qui a signé pour le label Sony s’est convertie au hip-hop. “J’ai toujours aimé le rap. Je me suis essayé à ce style en studio, et le résultat a été plutôt concluant”, nous confie, modeste, la rappeuse qui n’en est pas à son premier succès. Avec “Taj”, Manal avait défrayé la chronique. Un hit qui a tout de même cartonné, plus de 22 millions de vues sur Youtube et presque autant d’avis. “Taj est une chanson faite par une femme pour les femmes”, nous dit fièrement Manal. Celle qui a pour modèle la rappeuse Cardi B n’a pas froid aux yeux. Pour elle, il ne s’agit pas de s’imposer en tant que femme dans un milieu réservé aux hommes. “En réalité il faut juste avoir confiance en soi et croire très fort en son projet”, confie-t-elle, sereine. Pas question d’avoir l’approbation d’un quelconque rappeur, seul le public est juge. Après “Taj”, la désormais rappeuse a sorti “Slay” un morceau qui dénonce la dangerosité des réseaux sociaux. Pour ce clip, Manal a convié des influenceuses marocaines dont elle est proche. “Le but dans ce clip était de montrer des femmes qui s’assument pour dénoncer ce qui se passe sur les réseaux sociaux”, explique-t-elle. Une manière pour elle encore une fois de mettre en avant la femme.
Hanane Lafif, la tendresse
Le rap féminin à ses figures emblématiques. Tendresse, alias Hanane, l’une des premières rappeuses au Maroc en fait partie. Cette figure incontestée du rap marocain chante l’espoir en la jeunesse, en la femme qu’elle défend dans ses textes, tout en s’offrant le plaisir de parler d’amour. Son titre “Houwa” sorti en 2011, parle d’ailleurs de l’homme de ses rêves. Tendresse est à la fois féminine et un brin provocatrice, n’hésitant pas à clasher les rappeurs pour se faire entendre. Même si elle se fait de plus en plus discrète, Tendresse a marqué toute une génération de filles qui voient en elle une source d’inspiration. Pendant cette même période, la formation Tigresse Flow, composée de 5 filles au verbe incisif, a conquis le public grâce à son fameux titre “Maghribiya” (Marocaine). Ce groupe a disparu depuis des radars, mais certaines de ses membres continuent des carrières en solo, comme c’est le cas de Yousra, alias Soultana Rap.
Houda Abouz, alias Khtek
Avec seulement six singles en à peine deux ans, Houda Abouz alias « Khtek » s’est fait une place de choix dans le « rap game » du royaume chérifien. Elle compte 165 000 abonnés sur YouTube, a collaboré avec les poids lourds Tagne et ElGrandeToto, a été classée par la BBC parmi les 100 femmes actrices du changement à travers le monde en 2020… Née en 1995 à Khemisset, l’artiste a dévoilé fin mai le clip de Bizarre, où elle évoque le regard des autres sur tout ce qui sort de la norme. « La société marocaine accepte qu’un rappeur emploie des mots crus mais estime qu’une rappeuse perd de sa féminité si elle fait pareil », déplorait-elle en 2020 auprès du site Yabiladi.
Bousculer les mentalités
Laissons la conclusion à Femmes du Maroc : La scène marocaine du rap est en pleine expansion, elle s’émancipe et gagne du terrain. Les rappeuses sont les porte-paroles d’une jeunesse qui a soif de liberté, d’égalité et d’ouverture d’esprit. Ce sont ces idéaux que les rappeuses scandent dans leurs textes à coup de “punchlines” et de rimes. Cette poignée de rappeuses œuvre au changement en bousculant les mentalités.
Il y a quelques temps le féminisme ne se revendiquait pas, il se murmurait à peine. Aujourd’hui il s’écrit, se chante, se rappe. Ses identités, ses visions et ses ambassadrices sont multiples. Chacune exprimant à sa manière son droit. Les rappeuses marocaines ont su brandir une sorte de féminisme qui, sans elles, n’aurait pu exister.