
Depuis une dizaine de jours, des festivals ou spectacles musicaux ont été annulés, reportés ou fortement perturbés en Algérie, alors qu’une campagne sur la Toile appelle à la mobilisation contre ces festivités. La presse dénonce une manipulation de la part de militants islamistes.
Plusieurs concerts ont été annulés ou reportés après des protestations de militants (islamistes pour une partie des médias) qui prient devant les salles de spectacles pour empêcher le public d’y accéder. La presse algérienne s’alarme de la multiplication de ces actes, qui ne sont pas sans rappeler des souvenirs traumatisants pour les Algériens.
Ouargla, El Oued, Boumerdès, etc... Les galas sont devenus la cible d’une partie de la population algérienne en colère contre «la gabegie». Dernière victime en date, 1er août 2018, le Festival du raï de Sidi Bel Abbès qui a failli être annulé. «Plusieurs dizaines de religieux sont venus s’installer devant la maison de la culture de la ville pour accomplir la prière du Maghreb (prière du soir NDLR), en signe de désaccord avec l’organisation de ce festival dans leur wilaya. Les manifestants ont ensuite tenté de s’approcher du lieu où se tenait la cérémonie», relate Casbah Tribune. Il a fallu l’intervention des forces de l’ordre pour que le festival soit maintenu.
Islamistes ou ras-le-bol social ?
Ce mouvement de contestation, né sur les réseaux sociaux, a commencé à Ouargla (710 km au sud d’Alger) le 26 juillet 2018. Les manifestants arboraient des revendications sociales (baisse des factures d’électricité, construction d’hôpitaux) pour exiger l’annulation du concert du raïman Kader Japonais. Derrière les revendications sociales, une idéologie religieuse ? «Il faut remonter au temps de l’ex-FIS (Front islamique du salut, parti dissous, NDLR), au début des années quatre-vingt-dix, pour voir des concerts annulés sous pression «citoyenne». Le phénomène a disparu depuis, mais ces derniers temps il y a de plus en plus de réclamations allant dans ce sens. Il y a moins de deux semaines, un gala a également été annulé à Jijel», rappelle Algérie-Focus.
“La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), aile Me Noureddine Benissad, a exprimé ce mercredi 1er août ses ‘inquiétudes’ concernant un éventuel retour de l’inquisition après les interdictions qui ont ciblé deux galas musicaux à Ouargla et à Tébessa”, relate TSA Algérie.
En effet, le site algérien poursuit en signalant que “plusieurs centaines de personnes ont organisé jeudi 26 juillet, en soirée, une prière de rue devant le théâtre de verdure d’Ouargla pour empêcher un concert de musique que devait animer le chanteur Kader Japonais. Ils ont dénoncé leur marginalisation et réclamé leur part de développement. À Tébessa, une vidéo relayée sur les réseaux sociaux montre des personnes barbues et vêtues en kamis [vêtement long] faire irruption dans un quartier pour arrêter une fête animée par des musiciens.”
Des intimidations accompagnées d’une campagne sur les réseaux sociaux “qui s’est propagée comme une traînée de poudre pour faire reculer les organisateurs d’autres festivités”, écrit par ailleurs TSA Algérie. Avec le slogan “Khalih ighani wahdou” (“Laisse-le chanter seul”), cette campagne dénonce les budgets faramineux consacrés à ces festivals et spectacles souvent subventionnés ou organisés par le ministère de la Culture. Des dépenses considérées comme du gaspillage alors que les ressources de l’État accusent un net recul avec la baisse des revenus pétroliers. Dans ce contexte, les citoyens sont appelés à des prières géantes devant les salles pour marquer leur opposition à la tenue des manifestations culturelles et artistiques. “En somme, la culture est considérée comme un luxe qu’on ne peut s’offrir qu’après avoir vaincu le chômage, la chaleur, les ordures… Mais est-ce tout ?”
Sommations obscurantistes
Liberté Algérie constate pour sa part que “des spectacles ont été annulés dans plusieurs endroits du pays. Ici, par des groupes improvisés de ‘maintien de l’ordre moral’, et là par décision d’autorités prévoyantes préférant battre en retraite devant la menace de descentes islamistes en colère contre la fête.”
Et de s’indigner :
Depuis cette choquante expérience du terrorisme [durant la guerre civile des années 1990], dès que quelques barbus hirsutes nous rappellent à l’ordre, notre pouvoir se hâte de transformer leur vœu en acte. Il suffit que trois poilus en savates trimbalent une pétition dans un quartier, et ils vous ferment un bar ouvert depuis 1903 ! Et parfois, il fait l’effort de devancer leurs desiderata. Et d’interdire lui-même les spectacles pour que leurs troupes n’aient pas à les perturber. Et pour que le pouvoir lui-même n’ait pas à assumer son devoir d’ordre public face à eux. C’est ainsi que le régime défend la République : en la faisant plier devant les sommations obscurantistes.”
Même son de cloche dans El-Watan qui demande : “À quoi sert la Culture ?” avant de citer le poète et universitaire Achour Fenni, qui s’interroge : “Pourquoi les revendications sociales et le slogan de l’austérité ne sont brandis que lorsque cela concerne la culture ? Les mêmes revendications peuvent-elles être exprimées contre le foot par exemple ?” Et d’asséner : “On ne combat pas le terrorisme seulement avec les armes. Le terrorisme ne se niche pas que dans les maquis.”
Le quotidien algérien signale qu’Achour Fenni a publié un document officiel qui montre la répartition du budget de fonctionnement pour l’année 2018 entre les différents ministères, en le dédiant à “ceux qui estiment que la culture est la cause de leur tristesse”. Cela pour démontrer le ministère de la Culture est le parent pauvre des politiques publiques, avec un budget de fonctionnement d’un peu plus de 15 milliards de dinars [108 millions d’euros].
TSA Algérie déplore que “les activités artistiques soient taxées d’inutilement budgétivores et – pis encore – de contraires aux valeurs risque bien d’élargir le désert culturel dont l’Algérie baigne depuis déjà longtemps”.
Lu sur Algérie Focus du 2 août :
La fièvre des manifestations contre les concerts se propage de jour en jour.
Hier, quelques dizaines de citoyens ont marché hier, à Sidi Bel Abbes, pour réclamer l’annulation du festival du rai.
Arrivés au niveau de la maison de la culture, les « protestataires » ont accomplis en groupe la prière d’El Maghreb, face à une forte présence policière. Les manifestants ont été par la suite dispersés mais certains d’entre eux ont tenté de revenir quelques quarts d’heure plus tard pour accomplir la prière d’El Icha.
Il est clair aujourd’hui que ces manifestations contre la chanson sont l’œuvre du courant islamiste. Il y a une semaine également, des habitants d’Ouargla ont forcés les autorités à annuler un gala que devait animer le chanteur rai Kader Japonais. Ceux-là aussi ont accompli une prière devant la salle qui allait abriter l’événement.
C’est la première fois depuis le début des années quatre-vingt-dix que des galas sont annulés suite à la pression de la rue.
Si en apparence les « contestataires » expriment souvent des revendications socio-économiques, estimant que les budgets alloués à ces événements peuvent être utilisés à d’autres fins, au fil du temps il y a de plus en plus d’indices qui plaident pour une manipulation islamiste. Et dans beaucoup de cas, les autorités locales abdiquent…