
Dans l’histoire du Royaume du Maroc, le 30 mars 1912 est la date de la signature du Traité de Fès qui plaçait le Maroc sous protectorat français. Le Traité est signé par le Sultan Moulay Abd el-Hafid, sous la pression des troupes françaises campant aux portes de son palais. Il établit le Protectorat français dans l’Empire chérifien ou Protectorat de la République française au Maroc et est publié au 1er Bulletin Officiel du Protectorat. Le traité intervient dans un contexte intérieur marocain ainsi qu’international tendus – on a en effet, en 1911, frôlé la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne sur cette question des colonies africaines.
Si elles sont quelquefois enfouies dans la mémoire collective de l’histoire et peu souvent évoquées, même lors du centenaire du 30 mars 2012, les circonstances internationales de l’émergence du Protectorat français au Maroc sont connues. On devine aisément l’impact de son action dite ‘’réformatrice’’ sur les hiérarchies et les rôles et ses effets sur la souveraineté interne et internationale du pays. Mais ce que l’on sait moins en général, c’est le sort réservé par la doctrine juridique coloniale aux concepts les plus fondamentaux de la tradition juridique et institutionnelle du Maroc précolonial.
Le Dr Mohammed MRAIZIKA, chercheur en sciences sociales bien connu et apprécié par Maglor, auteur de nombreux travaux, vient de publier une analyse sur « le concept de délégation de pouvoir : Tafwida-Sulta» qui structure cette étape de la colonisation du Maroc.
La Bay’a, la Choura, la Maslaha, la Siba
Pour l’auteur, on ne mesure pas assez, en effet, l’importance du rôle joué par des concepts-clefs de cette même tradition, tels que la Bay’a, la Choura, la Maslaha, la Siba, ou encore le maraboutisme et le caïdalisme, dans la consolidation de l’ordre colonial. C’est en s’appropriant et en intégrant ces concepts dans sa stratégie de consolidation et de légitimation de son régime que la France a pu atteindre ses buts à moindre coût et sans avoir eu besoin de recourir outre mesure à des moyens militaires plus conséquents comme ce fut le cas en Algérie, à Madagascar ou en Indochine.
C’est à cette même fin que le concept de délégation de pouvoir, (Tafwid a-sùlta), a été emprunté au Kîtab ‘’al-Ahkâm al-sultâniyya’’ (Les statuts gouvernementaux) du réformateur sunnite Abù l-Hassan al-Mawardi (972-1058). Ravivé, renforcé de caractères nouveaux et originaux, ce concept a été utilisé comme technique de transfert et d’usurpation du pouvoir avec une efficacité redoutable. Ladite technique représente au fond l’une des formes les plus évoluées de la ‘’Stratégie Indirecte’’ telle qu’elle a été envisagée et enseignée par le stratège chinois Sun Tse (Ve siècle avant J.-C) et promue par Clausewitz dans son livre ‘’De la guerre’’ (Vom Kriege).
Comment et avec quels effets la théorie de délégation de pouvoir a-t-elle été appliquée, en guise de Stratégie Indirecte, au Maroc entre 1912 et 1956 ? Comment et avec quelle volonté le Maroc a-t-il pu se défaire de l’emprise coloniale et ainsi retrouver en 1956 la plénitude de sa souveraineté interne et internationale ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre ce livre publié sous les auspices du Haut-Commissariat aux Anciens Résistants et Anciens Membres de l’Armée de libération (Rabat).
Cette recherche, issue de la thèse de doctorat en histoire soutenue en 1994 par l'auteur, porte donc sur le concept de "Tafwid a-Sulta" (littéralement délégation de pouvoir) avec pour but d'en déceler le rôle dans le processus d'organisation des pouvoirs publics et de légitimation de l'autorité durant la période du Protectorat français sur le Maroc (1912-1956).
Auteur de l'ouvrage : Mohammed MRAIZIKA, Docteur en Histoire (EHESS de Paris), Diplômé de Philosophie Morale et politique (Sorbonne IV), Diplômé des Sciences de l’Information et la Communication (Jussieu-7), Chercheur en Sciences Sociale, Directeur du CIIRI-Paris