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L'Union du Maghreb arabe a besoin d'une nouvelle fondation. Le plaidoyer d' Hafed Al-Ghwell

Pour Hafed Al-Ghwell, "l'Union du Maghreb arabe aurait besoin d'une nouvelle fondation, qui soit plus attentive à la création d'un cadre global de coopération adapté aux urgences d'aujourd'hui et de demain, au lieu de se transformer en un simple lieu d'expression des griefs."

Cette année marque le 33e anniversaire de la création de l'Union du Maghreb arabe. Il fut un temps où l'Union était une entreprise ambitieuse, programmée et influencée par les évolutions de la mondialisation qui a ensuite cédé sa place à une régionalisation rapide, en pleine montée du protectionnisme. Le plan était simple: l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie devaient former une union économique et politique pour ainsi transformer une partie du monde géographiquement contiguë et culturellement homogène en un formidable bloc panarabe d'interdépendance, de libre-échange et de coopération mutuelle.

Toutefois, en prenant du recul, on s'est rendu compte qu'un tel projet était peut-être trop avancé par rapport à son époque, vu les contre-indications flagrantes sur le terrain, sans compter l'absence de volonté politique pour concrétiser une telle vision, ce qui explique la situation décevante dans laquelle se trouve l'Union aujourd'hui.

Pourtant, malgré son état dormant, l'Union conserve, jusqu'à ce jour, sa raison d'être. En effet, le Maghreb est stratégiquement situé entre les Amériques et l'Atlantique, avec l'Europe au nord, le Sahel et l'Afrique subsaharienne au sud, le Moyen-Orient et le grand continent eurasien à l'est – en plus d'un littoral contigu chevauchant les routes maritimes les plus empruntées de la Méditerranée.

Une Union entièrement intégrée aurait pu, et peut toujours, devenir un pôle mondial majeur capable de rivaliser avec le Conseil de coopération du Golfe, fondé en 1981 et presque totalement consolidé aujourd'hui.

À la fin des années 1980, au moment de la création de l'Union, près de quatre décennies de croissance record du produit intérieur brut mondial avaient commencé à battre de l'aile, alors que les économies avancées de l'Occident s'efforçaient d'affaiblir la Chine émergente et de freiner l'essor du Japon et des quatre tigres asiatiques (Singapour, Hong Kong, Taïwan et Corée du Sud). Les économies isolées ne pouvaient plus atteindre ni maintenir des niveaux élevés de compétitivité mondiale à moins de former ou de rejoindre des blocs régionaux pour développer leurs avantages concurrentiels, ce qui aurait permis de stimuler les taux de croissance en déclin et de réduire le nombre de chômeurs.

Au fil des années, la régionalisation accrue – et non le protectionnisme ou l'unilatéralisme – qui a permis aux économies intégrées de se spécialiser, s'est avérée essentielle à la concrétisation des principes du développement durable et à la mise en place d'une croissance résiliente à long terme, notamment dans le monde en développement. Au vu des niveaux élevés actuels d'interdépendance et de sophistication au niveau mondial, la situation stratégique globale de l'Union, et plus particulièrement sa proximité avec un marché commun européen qui vaut désormais 17 000 milliards de dollars, aurait alimenté des périodes de croissance inédites, susceptibles de sortir des millions de personnes de la pauvreté et de transformer les économies rentières du Maghreb.

En fin de compte, les pratiques et les politiques du commerce extérieur ont historiquement influencé l'allocation des ressources nationales, la croissance économique et le développement qui constituent des éléments essentiels au maintien de la concurrence et de l'équilibre extérieur. Par ailleurs, grâce à une intégration et à une coopération accrues, les États rentiers seraient théoriquement en mesure de procéder à des transitions moins coûteuses alors qu'ils tentent de diversifier leurs économies afin d'éviter une dépendance massive à l'extraction et l'exportation d'hydrocarbures par exemple. Une série de chocs économiques externes depuis les années 1980 a clairement illustré pourquoi les États rentiers vulnérables devraient donner la priorité aux transitions et adopter l'interdépendance pour renforcer leur résilience.

Malheureusement, le Maghreb demeure l'une des régions les plus fragmentées du monde, malgré sa population qui compte plus de 100 millions d'habitants et sa production économique cumulée qui s'élève à 325 milliards de dollars. À titre comparatif, d'autres organisations et associations régionales du continent africain, par exemple, ont développé leur portée et leur technicité ces dernières années, au point d'inciter l'Afrique du Nord à rejoindre les rangs du Marché commun de l'Afrique orientale et australe et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest.

Ce sont les années de stagnation, d'intransigeance, d'échecs critiques et de franche hostilité à l'égard de la coopération maghrébine qui épuisent aujourd'hui le potentiel inexploité de la région à raison d'environ 7 milliards de dollars par an. En d'autres termes, si l'Union du Maghreb arabe avait réussi à établir un bloc commercial formel en éliminant les barrières, en adhérant à une politique commerciale commune et en créant un marché commun, la région aurait pu réaliser une croissance du PIB de près de 225 milliards de dollars au cours des trois décennies qui ont suivi sa création.

Cependant, la triste réalité est que le commerce interrégional ne représente qu'un demi pour cent du total des importations et des exportations de la région, malgré les avantages évidents et bien établis de l'abandon des politiques protectionnistes et isolationnistes néfastes qui continuent à limiter les possibilités de croissance. Pire encore, les profondes implications d'une confluence de défis mondiaux, entre autres la récession économique induite par la pandémie, les perturbations de la chaîne d'approvisionnement, le changement climatique et l'imminence d'un monde post-pétrole, n'ont pas encore suscité de questions sérieuses quant à la possibilité de réexaminer l'intégration maghrébine.

Actuellement, la région traîne derrière les six grands blocs commerciaux du continent africain. Les niveaux extrêmement bas du commerce interrégional sont principalement dus à des rivalités de longue date et à des tensions non résolues entre les deux plus grandes économies du Maghreb, l'Algérie et le Maroc, ainsi qu'à des contraintes logistiques et à des protections commerciales, qui entravent les activités transparentes des entreprises dans la région.

Les pays maghrébins possèdent déjà les structures et les ressources économiques nécessaires pour stimuler le commerce, la coopération et l'intégration au sein de la région. Ils ne manquent pas non plus de capacités pour réorganiser les politiques actuelles d'investissement et de commerce afin de libéraliser la circulation des biens, des capitaux, des personnes et des services.

Une intégration plus profonde et plus complète ferait de l'Union du Maghreb un partenaire plus attrayant et plus stable pour le commerce et pour d'autres formes de coopération. Elle permettrait également aux pays maghrébins de conclure des accords tripartites mutuellement bénéfiques avec d'autres blocs régionaux à travers le monde, ouvrant ainsi la voie à une coopération renforcée dans d'autres domaines, notamment la lutte contre le terrorisme, la contre-insurrection et la migration irrégulière.

Néanmoins, la clé de l'accélération de la coopération intra-maghrébine ne doit pas se limiter à des interventions disparates conçues pour surmonter des déficiences ou des disparités socio-économiques notables. Une intégration durable nécessitera un ensemble cohérent et convergent de politiques et de systèmes économiques adaptés aux spécificités du Maghreb, ainsi qu'une coordination à long terme des volumes d'échanges et des allocations d'investissement dans des projets communs.

Cela n'est pas uniquement propre au Maghreb puisque la stimulation du commerce intra-arabe n'est possible que par le biais de priorités similaires en matière de croissance de la production, de distribution et de division du travail. Au cas où des tentatives de relance de la coopération verraient le jour, les dirigeants maghrébins devront renoncer à leur volonté de maintenir le statu quo en vue de déclencher un effort beaucoup plus radical, capable de vaincre les niveaux élevés de protectionnisme, les grandes disparités politiques et le manque de coordination, notamment au niveau législatif.

En d'autres termes, l'Union du Maghreb arabe aurait besoin d'une nouvelle fondation, qui soit plus attentive à la création d'un cadre global de coopération adapté aux urgences d'aujourd'hui et de demain, au lieu de se transformer en un simple lieu d'expression des griefs.

Mais le temps passe vite et la fenêtre d'opportunité est nettement plus étroite qu'elle ne l'était depuis 33 ans.

Hafed Al-Ghwell est chercheur principal non résident au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies. 

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