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Immigration : l'Europe veut serrer la vis

Immigration : l'Europe veut serrer la vis

Alors qu’en France, le Sénat vient de durcir le projet de loi immigration, les gouvernements de nos voisins européens tentent aussi de serrer la vis, face à la poussée de l’extrême droite et sous la pression de l’opinion publique.

(Le Télégramme) - Parmi les mesures-phares du projet de loi présenté par la ministre de l’Intérieur allemand, fin octobre, le délai de la détention précédant l’expulsion, de dix jours actuellement, est étendu à 28 jours. Domicile, téléphone ou ordinateur pourront désormais être fouillés afin d’établir l’identité des illégaux, au nombre de 54 000, selon les services de Nancy Faeser.

En Allemagne, priorité à la lutte contre l’immigration clandestine

Un demi-tour vers la droite annoncé, mi-octobre, par le chancelier social-démocrate dans une interview à l’hebdomadaire Spiegel : « Nous devons expulser à grande échelle ». « Olaf Scholz, qui pense fort à sa réélection dans deux ans, a entendu le coup de semonce », analyse le politologue Gero Neugebauer. Lors des scrutins régionaux du 8 octobre, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a récolté des résultats historiquement élevés dans des Länder de l’Ouest : 18,4 % dans la région de Francfort et 14,6 % dans celle de Munich. Ses idées infusent dans le débat politique. Aux frontières nord du pays, le Danemark et la Suède, débordés par les conséquences sociales d’une immigration incontrôlée, serrent aussi la vis. Commentaire de Hermann Binkert, le chef de l’institut de sondages INSA au journal Bild : « Les Allemands appuient sur le frein de l’immigration. Même parmi les sympathisants du gouvernement, les électeurs libéraux et écologistes, ils sont deux sur trois à soutenir ce virage migratoire ».

Par manque d’argent et de « bras » pour l’organisation de leur accueil, les « refugees », auxquels le pays avait ouvert les bras, ne sont plus vraiment les bienvenus. Le signal d’alarme est remonté des communes, d’où l’on voit resurgir les images de 2015/2016 : les salles de sports transformées en dortoirs et les classes bondées, dans un pays en mal d’enseignants. Selon les prévisions de l’office pour la migration et les réfugiés, 300 000 personnes devraient déposer une demande d’asile d’ici à la fin de l’année 2023, davantage qu’en 2022 (240 000). Auxquelles il faut ajouter 1,1 million d’Ukrainiens, dispensés de demande d’asile. Un comble dans un pays attaché à l’intégration par le travail : parmi ces réfugiés fuyant l’agression russe, seuls 17 % occupent un emploi salarié, contre 70 % aux Pays-Bas, selon une étude de la fondation Friedrich-Ebert. Le gouvernement prévoit de baisser les allocations et de remplacer les virements en liquide par une carte bancaire, afin de remédier au transfert d’argent vers les familles restées au pays.

Un problème plus grave guette, aggravé par la récession que traverse l’Allemagne, seul pays de la zone euro en territoire négatif : le financement des retraites. Le « Conseil des cinq Sages » a remis, cette semaine, au gouvernement un rapport de préconisations. Il y est recommandé de recourir davantage à l’immigration (les besoins sont chiffrés à 400 000 personnes par an) afin de soigner « non pas l’homme malade, mais l’homme vieillissant de l’Europe », selon la formule de la présidente de ce Conseil économique, Monika Schnitzer. Avec le départ progressif à la retraite des « boomers », le déficit de main-d’œuvre qualifiée sera d’environ 240 000 personnes, en 2026, selon les estimations de l’institut de recherches sur le travail (IAB). En cumulé, sept millions de travailleurs feront défaut en 2035. Mais le gouvernement vise le court terme, dans l’ordre des priorités, tétanisé par la perspective de voir l’AfD triompher lors des trois élections régionales prévues en 2024.

Royaume-Uni : Un système d’immigration révolutionné par le Brexit

La liberté de mouvement a cessé d’être applicable au Royaume-Uni, le 31 décembre 2020. Depuis tous les étrangers, sauf les Irlandais, doivent obtenir un visa pour vivre et travailler dans le pays. C’est pour réduire l’immigration que beaucoup de Britanniques ont voté en faveur de la sortie de l’Union européenne, en 2016. Le nombre de ressortissants européens a, en effet, diminué de plusieurs dizaines de milliers depuis qu’ils doivent obtenir un titre de séjour. Cette chute dans le solde migratoire met de nombreuses professions dans l’embarras : de l’hôtellerie à l’agriculture en passant par le secteur de la santé. Le gouvernement britannique met donc régulièrement à jour la liste des métiers en pénurie (Shortage occupations list). La dernière fois, en octobre 2023, huit professions ont été ajoutées, notamment dans la construction, les services à la personne et la pharmacie, mais aucune dans le secteur agricole, ce que regrette le principal syndicat, NFU.

Les Britanniques sont partagés sur l’immigration choisie mais le gouvernement estime qu’il faut d’abord mieux former les personnes déjà sur le territoire avant d’envisager d’élargir encore la liste. D’autant plus que le taux net d’immigration a battu des record, en 2022. Les réfugiés d’Ukraine et d’Hong Kong, mais aussi les travailleurs et étudiants non européens ont constitué la majeure partie de ces arrivées. Le gouvernement a décidé de limiter le regroupement familial pour les étudiants et de rendre plus difficile leur séjour, une fois qu’ils sont diplômés.

Régulièrement, la question de l’expulsion des délinquants étrangers revient dans l’actualité. Depuis 2007, tout étranger condamné à plus de 12 mois de prison doit « automatiquement » être expulsé. Mais de nombreuses exceptions et recours en justice compliquent l’application de cette règle.

En Italie, des conditions d’accueil durcies

« J’aurais voulu faire mieux sur l’immigration » a récemment regretté Giorgia Meloni. C’était en septembre dernier, alors que des centaines de migrants arrivaient chaque jour, en Italie, après avoir traversé la mer Méditerranée. Faire mieux, selon l’égérie de l’extrême droite, serait bloquer les arrivées et les départs de l’autre côté de la Méditerranée.

Malgré les accords signés avec la Tunisie, notamment, qui s’était engagée à renforcer les contrôles dans ses ports en échange d’une aide économique, Giorgia Meloni a échoué. Mais, visiblement, les Italiens ne lui en tiennent pas rigueur, deux Transalpins sur trois estimant que la classe politique en général a les mains liées. Et bien qu’ils reconnaissent, aussi, que la participation des migrants est indispensable dans certains secteurs en tension comme le bâtiment, l’industrie, le tourisme, l’agriculture et l’aide à domicile, une bonne partie des Italiens estiment qu’il faut réduire leur présence, notamment après les événements du 7 octobre en Israël.

Si l’extrême droite n’a pas réussi à concrétiser ses promesses sur la question migratoire, elle a, en revanche, durci les conditions d’accueil. Les contrôles ont été renforcés pour les mineurs, afin de vérifier leur âge, et les critères d’attribution des permis de séjour ont été modifiés pour réduire leur nombre. Autre point important : les procédures d’expulsion ont été simplifiées, en particulier les délais. Enfin, un accord a été signé, la semaine dernière, avec l’Albanie pour la construction de deux centres de rétention provisoire au pays des Aigles. Ces structures hébergeront temporairement les migrants récupérés en mer Méditerranée par la marine italienne. Un dispositif anticonstitutionnel qui risque de compliquer les relations avec Bruxelles, qui demande déjà des explications.

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