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Biden prône une diplomatie « des valeurs »

Le président américain annonce l’arrêt du soutien à l’intervention saoudienne au Yémen

Donald Trump avait tardé plus d’un an avant de se rendre au département d’Etat. Joe Biden a fait le déplacement deux semaines seulement après son arrivée à la Maison Blanche, jeudi 4 février. Il y a prononcé le premier discours de politique étrangère d’un début de mandat dominé par des urgences nationales : la lutte contre l’épidémie de Covid­19 et ses conséquences économiques. Ce discours a été accompagné d’un hommage particulièrement appuyé à la diplomatie et à ceux qui la servent, que son prédécesseur tenait ouvertement en piètre estime.
Joe Biden a répété la promesse faite lors de son élection, puis lors de sa prestation de serment. « L’Amérique est de retour », a-­t-­il assuré, pour tourner la page de « l’Amérique d’abord », le slogan de son prédécesseur. Ce réengagement est justifié par la défense des intérêts de la classe moyenne américaine. Elle est mieux assurée, a-­t­-il affirmé, lorsque les Etats­-Unis se mêlent des affaires du monde.
Revirement radical Ceux qui attendaient un exposé sur la politique que le président entend adopter vis­-à-­vis de la Chine, ou bien un plan consacré aux dossiers nucléaires iranien ou nord-­coréen, deux échecs de Donald Trump, devront patienter. Joe Biden s’est contenté jeudi de tracer de grands axes qui signalent un retour à l’attachement à « l’ordre » international mis sur pied par les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale, auquel l’ancien président a tourné le dos.
Il a illustré ce revirement radical par trois mesures qui devraient jouir d’un large soutien dans un Congrès paralysé par le profond fossé qui sépare les démocrates et les républicains sur les questions de politique intérieure.
Comme l’heure est au réexamen des décisions de la précédente administration, Joe Biden a annoncé le gel de la réduction du contingent américain présent en Allemagne. Cette mesure s’inscrit dans le projet de restauration des liens avec les partenaires historiques des Etats-­Unis. « Les alliances de l’Amérique sont notre plus grand atout. Et diriger par la diplomatie, c’est se tenir à nouveau aux côtés de nos alliés et partenaires-­clés », a-­t­-il assuré. Donald Trump, qui entretenait des relations glaciales avec la chancelière Angela Merkel, avait souhaité diminuer d’environ 9 000 hommes ce contingent qui compte près de 35 000 soldats. Il avait présenté sa décision comme une sanction contre des dépenses militaires allemandes jugées insuffisantes.
Le nouveau président a annoncé également la fin du soutien apporté à l’intervention militaire de l’Arabie saoudite dans la guerre civile au Yémen, à l’origine d’un désastre humanitaire. Cette prise de distance vis-­à-­vis du prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, qui disposait de relations privilégiées avec la précédente administration, constitue un autre signe de rupture. Elle s’accompagne d’un réengagement américain que traduit la nomination d’un envoyé spécial, Timothy Lenderking, un diplomate de carrière, chargé d’aider à la reprise d’un dialogue politique difficile entre les factions yéménites.
La troisième décision de Joe Biden illustre le retour des « valeurs » déjà manifesté par la suppression de l’interdiction d’accès au territoire américain aux ressortissants de pays à majorité musulmane. Le président démocrate a, en effet, annoncé le retour à une politique d’ouverture vis­à­vis des réfugiés qui ont été pendant quatre ans les victimes collatérales des freins multipliés par la précédente administration contre l’immigration légale et illégale.
Relatif silence sur la Chine Conformément à une promesse de campagne, il a fixé comme objectif l’accueil de 125 000 réfugiés par an, au lieu des 15 000 prévus pour l’année budgétaire en cours qui s’achèvera en septembre. Ces « valeurs » ont été également rappelées par un hommage appuyé rendu à la presse, présentée comme ferment de la démocratie, comme par l’engagement de défendre les minorités sexuelles (homosexuelles ou transgenres), ethniques et religieuses dans le monde.
Sans surprise, Joe Biden a adressé un message clair aux militaires birmans à la suite de leur coup d’Etat déclenché le 1er février après des élections qui leur avaient été défavorables. « Dans une démocratie, la force ne peut être utilisée contre la volonté du peuple », a assuré le président des Etats-­Unis, après avoir demandé aux responsables militaires de renoncer au pouvoir.
De même, Joe Biden a apporté son soutien à l’opposant russe Alexeï Navalny, condamné le 2 février à une peine de prison controversée. « Il a été pris pour cible, ciblé pour avoir dénoncé la corruption. Il doit être libéré immédiatement et sans condition », a-­t-­il estimé, avant d’indiquer avoir mis en garde son homologue russe, Vladimir Poutine, lors de leur première conversation téléphonique.
« J’ai clairement dit au président Poutine, d’une façon très différente de mon prédécesseur, que le temps où les Etats­Unis se soumettaient face aux actes agressifs de la Russie, l’ingérence dans nos élections, les piratages informatiques, l’empoisonnement de ses citoyens, est révolu, a dit Joe Biden. Nous n’hésiterons pas à en augmenter le coût pour la Russie et à défendre nos intérêts vitaux et notre peuple », a ajouté le président américain, tout en estimant que cette défiance n’empêchait pas des rapprochements ponctuels, comme la reconduction d’un accord de limitation des arsenaux nucléaires, New Start, à laquelle les deux pays sont parvenus depuis son arrivée à la Maison Blanche.
Cette fermeté a tranché avec le relatif silence observé jeudi vis­àvis de la Chine, devenue la principale rivale des Etats­Unis, alors que le nouveau secrétaire d’Etat, Tony Blinken, a pourtant repris à son compte le terme de « génocide » de la précédente administration pour qualifier la répression de la minorité ouïgoure par les autorités chinoises.
Joe Biden a considéré que les réajustements auxquels il entend procéder, la restauration des alliances, le souci des « valeurs », lui permettront de négocier avec Pékin « en position de force », en fonction des intérêts de son pays.
 

Gilles Paris
 

 

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