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Maradona, l'Algérie et le « bisou »

La disparition du génie argentin du ballon rond a profondément ému les Algériens, qui considèrent que l'aura de Maradona dépasse sa légende sportive.

(lepoint.fr) - « Mon idéologie est celle des libérations, et je suis très admiratif devant ce qu'ont fait les Algériens pour se libérer, et je suis aussi admiratif face à l'attachement des Algériens à leur drapeau, face à leur passion. [...] One, two, three, viva l'Algérie ! » Ainsi parlait Diego Armando Maradona lors de sa visite à Alger en décembre 2013, invité par l'opérateur de téléphonie public Mobilis pour le lancement de la 3G. « J'espère que la 3G en Algérie sera aussi rapide que moi sur le terrain », s'est amusée la star argentine, dont la disparition a beaucoup été commentée en Algérie, pays passionné par le football.

Sur les réseaux sociaux, on partage sa photo où il embrasse le drapeau algérien… mais c'est surtout celle du baiser échangé avec sa campagne, à la table de trois ministres qui semblent regarder ailleurs, lors de la cérémonie de Mobilis, qui est la plus virale. « En Algérie, seul Maradona a le droit d'embrasser en public sa copine », tirait alors un journal électronique !

« Traité de voyou »

« Pour moi, Algérien, c'est aussi le génial emmerdeur qui a bisouté sa nana en décembre 2013 devant tout le monde lors d'une une soirée médiatisée. La scène était magnifique comme une belle caricature : des hypocrites et des pudibonds qui tournaient la tête ou enfonçaient le menton sous la table des convives. Un ex-ministre l'avait traité de voyou, il ne savait pas ce que c'est un élan d'amour, le pauvre », se souvient l'éditorialiste et directeur du quotidien Reporters Nordine Azzouz.

« [Les ministres] n'avaient pas vu le hors-jeu de Maradona. Le VAR n'est pas utilisé en Algérie », ironise Hichem sur sa page Facebook en rappelant cet épisode cocasse. Mais au-delà du bisou amoureux aux côtés des apparatchiks algériens, une autre polémique s'enflamma autour du montant supposé engrangé par la star argentine : un million d'euros sortis des deniers publics, payés par Mobilis pour sa venue à Alger pour 24 heures, une information vite démentie par les deux protagonistes.

Mais la rencontre entre Maradona et l'Algérie remonte à plus loin, plus exactement au 2 septembre 1979 à Tokyo quand l'Argentine affronte l'Algérie en quart de finale de la Coupe du monde des moins de 20 ans. El pibe de oro a alors 19 ans, et son équipe écrase les Algériens (5-0, dont un but signé par Maradona), et sera élu Ballon d'or de la compétition. L'Argentine remporte la Coupe face à la puissante équipe de l'URSS.

« Nous avons été touchés de jouer contre l'Algérie »

Ce match Algérie-Argentine restera gravé dans la mémoire de Maradona qui racontait, le 2 septembre, son accès de colère en ce 2 septembre 1979 sur sa page Facebook : « On a rejoint les vestiaires avec un score de 4-0 après un but de Caldera et un triplé de Pelado Diaz. En seconde période, El Flaco [surnom donné à l'illustre sélectionneur argentin César Luis Menotti] m'a remplacé par Tucu Meza. Et Juancito Simon a dû quitter le terrain lui aussi, blessé à la cheville. La vérité, c'est que j'ai regagné le vestiaire en étant très furieux, j'ai hurlé comme un fou. Mais bon, personne n'aime être remplacé, encore moins moi qui étais le capitaine. » Maradona reconnaît quand même : « Nous avons été touchés de jouer contre l'Algérie. Ils jouaient bien, mais nous avons pu les battre. »

Trente-quatre ans après, lors de son passage à Alger, Maradona s'exprima sur les chances de l'Algérie au Mondial du Brésil de 2014 : « Je dois dire que ça serait une grave erreur de sous-estimer l'Algérie. Gare aux équipes qui manqueront de respect aux Algériens ! » Mais les Fennecs s'arrêteront à la huitième de final, capitulant devant l'Allemagne sur un score de 2-1.

Toutefois, Maradona, ce n'est pas uniquement du football pour les Algériens. « Il était une légende qui a électrisé l'imaginaire et l'existence des gens avec ses valeurs de justice, de liberté et de révolution. Maradona est la continuité footballistique de Che Guevara », écrit l'auteur et chercheur Mohamed Benziane, alors que foisonnent à travers les réseaux sociaux les hommages pour ses positions propalestiniennes et ses relations avec Castro ou Chavez.

« Une sorte de Mohamed Ali, un totem »

« Il y a du politique en Maradona », lance Nordine Azzouz. « Le gamin sorti du bidonville de Fiorito, près de Buenos Aires, et qui a grimpé tous les échelons jusqu'au sommet du monde pour dire ensuite à l'église et au pape : “Arrêtez de vendre du discours aux pauvres et aux déclassés, et faites quelque chose ! Vendez vos bibelots !'' Prenons aussi 1986 et la ''main de Dieu'' : c'est la revanche du petit peuple argentin contre l'Empire britannique et Thatcher pour les Malouines. Les Argentins qui le pleurent aujourd'hui l'ont compris, comme l'ont compris ceux qui portaient aux nues pour la boxe Mohamed Ali ou, avant, Jack Johnson ! »

« Maradona est pour l'Algérie une sorte de Mohamed Ali, un totem, un symbole d'impertinence et de réussite. Il renvoie aussi au caractère imparfait de l'être humain », considère Akram Kharief, fondateur du site d'informations stratégiques Mena Défense.

Pour le politologue Abed Charef, « Maradona a moins bien géré sa carrière que Messi, mais sa vie a plus de punch ». « Rencontrer Castro et jouer dans la partie pauvre de l'Italie, ce sont des choix qui marquent. Et puis, il a remporté la Coupe du monde, ce qui n'est pas le cas de Messi, trop lisse, et ce qui montre que l'impact d'un joueur sur le collectif est aussi important, sinon plus important que le talent individuel. »

Le poète Adel Sayad propose, lui, de baptiser le grand stade d'Alger, en chantier, du nom de Maradona pour « perpétuer la magie qu'il insuffla au ballon rond et pour saluer toutes les jeunes énergies du cru ».

Par Adlène Meddi, à Alger

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